Même si l’arrivée du Président Abdel Fattah Al-Sissi à la tête de l’UA a pu susciter quelques interrogations, son annonce en faveur d’un « patriotisme économique africain » semble rassurer ceux qui gardaient encore une image d’une Egypte essentiellement tournée vers le Moyen-Orient. Certes, il y a encore un grand débat sur les pouvoirs à redonner à la Commission et des réticences souverainistes, mais cette présidence égyptienne intervient à un moment où on a pu noter une nette avancée de l’agenda des réformes bien que certains grands défis, notamment sécuritaires, restent à relever.
Les dossiers ne manquent pas sur la table du nouveau président de l’Union africaine comme la question libyenne mais aussi la lutte contre le terrorisme. Malgré toutes les divergences sur l’avenir de Libye, l’Egypte souscrit pleinement aux accords de Skhirat et à un règlement sous les auspices des Nations Unies.
Rien que sur ces deux grands dossiers, la présidence égyptienne revêt plusieurs enjeux dont la nécessaire synergie entre les deux rives du Sahara qui partagent des défis imposés par l’Histoire et la géographie. Même si une certaine géopolitique simpliste a toujours tenté d’en faire deux aires distinctes, ces deux entités doivent faire face ensemble à la question du terrorisme qui, par nature, reste une menace transnationale.
L’Union Africaine qui tarde aujourd’hui à avoir une politique continentale autour d’une stratégie concertée malgré les efforts dans le cadre de l’Architecture africaine de paix et sécurité (APSA), devrait pouvoir profiter de cette présidence pour fixer le cadre d’une coopération plus efficace. Avec la présidence d’Al-Sissi, cette possibilité de synergie est encore plus grande dans le cadre d’une régionalisation des stratégies de prévention et de lutte contre le terrorisme mais aussi d’une meilleure harmonisation des efforts pour le moment dispersés entre les différents regroupements sous-régionaux.
En effet, la présidence égyptienne offre une rare opportunité d’échange d’expériences et de bonnes pratiques entre l’Afrique du Nord et les pays subsahariens en plus de l’important travail du Centre africain d’étude et de recherche sur le terrorisme (CAERT) basé à Alger. Les pays nord-africains ont été, très tôt, confrontés à ce fléau et ont développé tout un ensemble d’outils et d’expériences dont pourraient profiter les Etats-membres d’Afrique subsaharienne. De même, les Etats de la région à qui la gestion concertée de la menace avait déjà imposé la mise en place d’instruments et de cadres de concertations, comme le G5 Sahel, sont désormais aptes à insuffler un nouvel esprit de coordination à la lutte contre le terrorisme au niveau continental. A cet effet, il y aura, forcément, une confrontation des vues pour qu’à côté des approches purement sécuritaires dans le cadre des actions de contre-terrorisme se développent des stratégies de prévention et de résilience.
Pays précurseur dans les efforts soutenus qui ont abouti à la mise sur pied du G5 Sahel, le Niger qui symbolise cette transnationalité au regard de ses contraintes géopolitiques mais aussi de la volonté politique de ses dirigeants pourrait jouer un rôle important vers plus de synergie au niveau africain.
Niamey qui s’apprête à accueillir la 33ème conférence de l’Union Africaine, s’est très tôt approprié les dispositifs régionaux existants et s’est beaucoup appuyé sur la coopération régionale et internationale (Centre africain d’étude et de recherche sur le terrorisme -CAERT) de même que le Comité des services de renseignement et de sécurité d’Afrique (CISSA). En même temps, le Niger a su tirer profit du Processus de Nouakchott sur le renforcement de la coopération sécuritaire et l’opérationnalisation de l’architecture africaine de paix et de sécurité (APSA), dans la région sahélo-saharienne.
En juillet 2018, le Président Issoufou Mahamadou avait, dès le premier sommet inter-régional CEDEAO- CEAC, appelé à une lutte contre le terrorisme sous plusieurs angles en mettant en avant la concertation au niveau continental. Ainsi, le leadership du Niger dans la cadre d’une lutte intégrant la prévention mais aussi les aspects du développement devrait aider à plus de convergence de vues, notamment, l’approche préventive qui passera nécessairement par le développement économique.
Lors du dernier sommet de l’Union Africaine, en présentant son rapport d’étape sur le processus de la Zone de libre-échange continentale (ZLEC) pour le deuxième semestre 2018 et les perspectives, le président nigérien a, comme à l’accoutumée, mis en exergue le lien intrinsèque entre sécurité et développement. Ce qui entre parfaitement dans la logique de la présidence égyptienne qui compte s’appuyer sur trois piliers : le développement des infrastructures, l’accélération de l’entrée en vigueur de la ZLEC et la création d’emplois pour la jeunesse du continent. S’inscrivant dans la même perspective du couplage entre sécurité et développement, en sa qualité de Président en exercice du G5 Sahel, le président Issoufou avait même réitéré lors du dernier sommet de Ouagadougou, cette position en ces termes : « Notre combat pour la paix et la sécurité, dans notre espace est inséparable de notre lutte pour le développement. Le terrorisme et le crime organisé sont des symptômes. Nous sommes déterminés à nous attaquer à la maladie dont ils sont le relief : la pauvreté et les inégalités. À terme, c’est non pas les armes, mais l’éradication de celles-ci, qui nous permettra de vaincre définitivement le terrorisme ».
Le Niger assurant, aussi, la vice-présidence de l’Union africaine pour l’Afrique de l’Ouest et devant accueillir le prochain sommet en juillet 2019 pourrait, entre temps, au regard de ses relations historiques avec l’Egypte et les pays du Maghreb, jouer un rôle déterminant dans la conjugaison des efforts sur les questions essentielles et sur les défis que partagent l’ensemble nord-africain et l’Afrique subsaharienne.
Dr. Bakary Sambe, Directeur de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies