AVOCAT FRANÇAIS ENLEVÉ À ABIDJAN: DES RANCOEURS FRANCO-IVOIRIENNES

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Brièvement enlevé à Abidjan dans la nuit du 6 au 7 novembre 2004, l’avocat français Xavier Ghelber a raconté vendredi au tribunal correctionnel de Paris une plongée dans un terrible chapitre des relations franco-ivoiriennes.

Un seul des cinq anciens militaires ivoiriens du Groupe de sécurité présidentielle poursuivis pour l’enlèvement de l’avocat et d’un autre Français, depuis décédé, s’est présenté à l’audience.

La procureure Alexandra Onfray a requis sept ans de prison à l’encontre de chacun des militaires, une peine assortie d’un mandat d’arrêt pour quatre d’entre eux, qui seraient en Côte d’Ivoire.

Elle a relevé qu’il ne suffisait pas « de se prévaloir d’être en uniforme » et « d’obéir aux ordres » pour s’exonérer de ses responsabilités, tout en reconnaissant que les raisons de ce double enlèvement, qui n’aura duré que quelques heures, restaient mystérieuses.

A la barre, Xavier Ghelber a expliqué qu’il était à Abidjan pour réaliser un audit juridique de la filière cacao dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial, à la demande de l’Union européenne.

Il est 05H00 du matin ce 7 novembre lorsqu’il est réveillé par de violents coups frappés à la porte de sa chambre du fameux hôtel Ivoire. Des soldats le somment de les suivre et lui demandent de « mettre un sac blanc sur la tête », ce qu’il refuse de faire. Agacé, un militaire avait alors « tiré une rafale de kalachnikov », en blessant un autre.

Me Ghelber est ensuite embarqué dans un véhicule avec un autre Français, le retraité Jean Labatut. L’expert croit alors à « une liquidation ».

« C’était six mois après la disparition du journaliste Guy-André Kieffer, qui enquêtait sur des malversations de la filière cacao, réorganisée pour détourner l’argent au profit du régime », dit-il. Le corps du journaliste, disparu sur un parking d’Abidjan alors qu’il avait rendez-vous avec le beau-frère de Simone Gbagbo, l’épouse du président ivoirien d’alors, n’a jamais été retrouvé.

– Une atmosphère explosive –

Les deux hommes sont conduits à la résidence présidentielle, puis au quartier général de la gendarmerie. « J’ai compris que notre enlèvement n’était pas lié au cacao mais peut-être à ces rumeurs d’attentat contre le président », explique l’avocat. Un des prévenus a affirmé lors d’une audition à Abidjan que les deux Français avaient été signalés comme « suspects ».

L’atmosphère est explosive. La Côte d’Ivoire est coupée en deux depuis deux ans: la moitié nord est contrôlée par une rébellion et la moitié sud demeure sous l’autorité du président Laurent Gbagbo, à couteaux tirés avec l’ex-puissance coloniale française, qui dispose d’une force militaire sur place.

Après une période d’accalmie, le conflit a brutalement regagné en intensité début novembre. Le 6, c’est l’escalade: « Vers 13H00, se souvient Xavier Ghelber, deux Sukhoï de l’aviation ivoirienne bombardent un camp militaire français à Bouaké (nord) », tuant neuf soldats français. « Vers 14H30, les militaires français ripostent », en détruisant à leur tour les aéronefs ivoiriens.

« Vers 15H00, poursuit-il, les patriotes (partisans du président Gbagbo) appellent à la mobilisation antifrançaise, le lycée français est en feu, les Blancs affluent vers l’hôtel Ivoire, un des points de ralliement en cas d’évacuation ».

Après l’enlèvement, a expliqué M. Ghelber, les deux Français avaient été amenés au quartier général de la gendarmerie puis « conduits dans un hôtel », où les militaires français les avaient récupérés deux jours plus tard.

A la barre, l’ancien adjudant Charles-Olivier Rabet a affirmé n’avoir fait qu' »obéir aux ordres », n’avoir « jamais menacé » M. Ghelber.

Son avocat, Me Rodrigue Dadjé, qui est aussi celui de Simone Gbagbo, a évoqué le contexte d’un pays « agressé », estimant que « si on avait voulu tuer M. Ghelber, on aurait pu le tuer directement dans sa chambre ». Pour lui, les Français ont au contraire « été protégés » par la gendarmerie ivoirienne.

« Un scandale », a soufflé Jean-Paul Lévy, avocat de M. Ghelber, qui qualifie « cet enlèvement de crime de guerre dans le contexte du conflit ivoirien » et réclame, pour le principe, le dessaisissement de la justice française au profit de la Cour pénale internationale (CPI), chargée de juger l’ancien président Gbagbo.

Le jugement sera rendu le 3 mars.

                                                                                    Afp

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