Tchad : chronique d’une transition presqu’aboutie

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A la suite des élections sénatoriales du 25 février 2025, le Tchad a clos définitivement la période de transition. Avec ce retour à l’ordre constitutionnel, le pays vise désormais à impacter l’Afrique.

Avec la nomination par le Président Mahamat Idriss Deby Itno le 4 mars 2025 des 23 sénateurs devant compléter la liste des membres du Sénat élus le 25 février 2025, comme le prévoit la constitution du pays, toutes les institutions du Tchad sont désormais fonctionnelles. Le Tchad vient ainsi de boucler un cycle d’élections qui est allé du referendum (17 décembre 2023) jusqu’aux législatives, provinciales et communales (29 décembre 2024), en passant par la présidentielle (6 mai 2024). Ce qui au final, met un terme à la période de transition, entamée en 2021. A ce jour, cela donne l’impression d’une symphonie presqu’aboutie, si l’on se réfère aux messages de félicitations qui affluent des missions diplomatiques et des institutions internationales pour encenser les autorités tchadiennes.

« Nous rejetons catégoriquement la transition… »

Le 20 avril 2021, après 30 années passées au pouvoir, le Président Idriss Deby Itno décédait des suites de blessures reçues alors qu’il commandait son armée dans des combats contre des rebelles dans le nord du pays. Bien que constitutionnellement, il revenait au Président de l’Assemblée nationale d’alors, Haroun Kabadi (élu le 7 mars dernier Président du Sénat), de prendre le pouvoir de manière intérimaire dans l’optique d’organiser une nouvelle présidentielle, c’est plutôt un Conseil Militaire de Transition qui fut mis en place. Le CMT sera dirigé par le fils du président défunt. Agé de 37 ans, il est un pur produit de l’armée, devenant un général quatre étoiles à l’âge de 29 ans en 2013 : Mahamat Idriss Deby Itno. Cette situation mettait davantage le pays dans le flou total, et plongeait le Tchad dans des lendemains incertains ; d’autant plus que les rebelles, qui menaient depuis plusieurs jours une offensive contre le régime tchadien, promettaient de marcher sur N’Djamena et avaient rejeté « catégoriquement » le Conseil Militaire de Transition. « Nous rejetons catégoriquement la transition (…) Nous comptons poursuivre l’offensive », avait promis Kingabé Ogouzeimi de Tapol, le porte-parole du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT). Et pourtant, l’armée tchadienne et le gouvernement avaient indiqué avoir « détruit » la colonne de rebelles et tué 300 combattants. Simple campagne de communication !

Face à cette situation des plus délicates, c’est à une diplomatie efficace qu’il fallait se référer concrètement pour faire bouger les lignes de manière positive, et éviter que le pays ne sombre dans le chaos. C’est ainsi que le gouvernement de transition et une quarantaine de mouvements politico-militaires, transcendés par un sentiment symboliquement patriotique, vont se rencontrer et essayer de fumer le calumet de la paix sous la médiation du Qatar à Doha. Le 8 août 2022, un Accord de paix est signé, après cinq mois de pourparlers, prévoyant : un cessez-le-feu général qui entre en vigueur dès la signature de l’accord ; le Conseil militaire de transition (CMT) s’engage à n’entreprendre aucune opération militaire ou de police contre les mouvements politico-militaires signataires ; les mouvements s’engagent à n’entreprendre aucune intrusion, action armée ou attaque de quelque nature que ce soit contre le CMT. ; les parties conviennent de la mise en route d’un programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) ; l’adoption et l’application d’une loi d’amnistie pour toutes les condamnations liées aux participations aux rébellions et/ou atteintes à la sûreté de l’État ; les mesures visant à assurer la sécurité physique des membres des mouvements politico-militaires signataires, de leurs biens et de leurs proches, à leur retour au Tchad ; le renoncement définitif à la lutte armée et au recours à la violence sous toutes ses formes ; l’arrêt du recrutement des nouveaux combattants et la déclaration des effectifs réels, notamment des armes ; la libération réciproque des forces de défense et de sécurité et des combattants faits prisonniers lors des différents affrontements ; l’inscription à l’agenda du Comité d’organisation du dialogue national inclusif de 20 questions dont la réforme de l’armée, la révision de la charte de transition, l’inéligibilité des membres des organes de transition aux premières élections post-transition. Bien plus, l’accord mentionne également la tenue dans les meilleurs délais à N’Djamena du dialogue national inclusif dont les résolutions seront contraignantes.

Dialogue national du 20 août au 8 octobre 2022

Le dialogue national inclusif s’imposait inéluctablement comme le chemin obligatoire pour aller à une paix véritable entre les frères et sœurs du Tchad ; il faut reconnaitre que même les 18 mouvements politico-militaires tchadiens non signataires de l’Accord de paix de Doha en convenaient dorénavant. « Nous nous sommes réunis dans le Cadre permanent de concertation et de réflexion (CPCR) et avons réaffirmé notre engament pour la paix au Tchad. C’est vrai que nous n’avons pas signé l’accord de paix de Doha mais nous œuvrons pour la paix dans notre pays. Lors de notre rencontre, nous avons réitéré notre offre de paix et demandé à la communauté internationale, notamment les Nations unies, l’Union africaine et l’Union européenne de soutenir cette offre à travers la médiation de la communauté Sant’Egidio », soulignait Bichara Idriss Haggar du CNR (Conseil national de redressement du Tchad).

Le 20 août 2022, le dialogue sera lancé et prendra fin le 8 octobre. Dénommé finalement Dialogue national inclusif et souverain (DNIS), il aura réussi à rassembler environ 1400 participants issus de la junte au pouvoir, de l’opposition civile et militaire, ainsi que de la société civile et des milieux professionnels, religieux et traditionnels. Nul doute, il a fait entendre un ensemble diversifié, bien qu’incomplet, de voix d’à travers le Tchad, offrant une occasion sans précédent de s’engager dans un débat ouvert et de construire la cohésion nationale. Mais il faudra souligner l’absence à ce forum de quelques acteurs majeurs du paysage politique à l’instar du Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad, Les Transformateurs et le collectif Wakit Tama qui ont exigé la libération des prisonniers de guerre et des détenus politiques, ainsi que l’assurance préalable de la souveraineté du dialogue, et des garanties diverses. Ne dit-on pas souvent que les absents toujours tort ! Cependant, malgré des critiques, le DNIS décidait que les membres du CMT, notamment Mahamat Idriss Déby Itno, seraient autorisés à se présenter aux prochaines élections et que la période de transition serait prolongée pour 24 mois. Les conclusions du DNIS concernent l’organisation d’un référendum unique pour choisir la forme de l’État et adopter une nouvelle constitution, ainsi que la dissolution du CMT. Les questions clés concernant la gestion du futur processus électoral, ou même le découpage administratif de la gouvernance, ont été élues par le dialogue.

Après le DNIS, place désormais au futur, puisqu’il faut continuer à suivre et surtout à appliquer la feuille de route du forum. Saleh Kebzabo qui fut une plaque tournante lors des travaux avant les Accords de Doha va prendre la place de Albert Pahimi Padacké (qui a été premier ministre du 2 mai 2021 au 13 octobre 2022) à la primature. C’est donc avec l’ancien journaliste et correspondant de RFI au Tchad que le pays va s’acheminer vers le scrutin référendaire organisé le 17 décembre 2023. Le Oui va l’emporter largement avec un score de 86% selon un taux de participation de 63,75% ; projetant ainsi le Tchad aux portes de la cinquième République au sein de laquelle des nouveautés voient le jour notamment la limitation du mandat présidentiel renouvelable une seule fois, l’instauration des conseillers provinciaux ou encore la mise en place d’un Sénat.

Succès Masra, le grand perdant

Le 1er janvier 2024, contre toute attente, Succès Masra sera nommé premier ministre. A noter qu’il n’avait pas pris part aux Accords de Doha, il n’avait non plus participé au DNIS. Il avait par ailleurs appelé à boycotter le scrutin référendaire. Une telle nomination était inimaginable, car au mois d’octobre 2022, son parti, Les Transformateurs, avait organisé une marche à N’Djamena réclamant la fin de la transition. Plusieurs Tchadiens avaient perdu la vie ce jour du 20 octobre. La suite de cette histoire est que son parti puis les autres organisateurs de cette manifestation et les autorités de transition se rejetaient réciproquement les responsabilités des tueries de cette journée, laissant les parents des victimes dans le désarroi, l’angoisse et l’incertitude. Toujours est-il que Succès Masra quittera la primature le 25 mai 2024, à la suite l’élection présidentielle gagnée au premier tour par Mahamat Idriss Deby Itno (61,03 %). Arrivé en seconde position il obtint 18,53% des suffrages exprimés, juste devant un autre ancien premier ministre devenu sénateur récemment, Albert Pahimi Padacké : 5,91%.

Plus tard, les élections législatives, provinciales, communales et sénatoriales ont consacré la suprématie du MPS (Mouvement patriotique du salut) sur la scène politique du Tchad. Le parti fondé par le père de l’actuel président qui avait pour objectif de libérer le Tchad de la dictature de Hissein Habré – comme on le célèbre le 1er décembre de chaque année – possède désormais tous les leviers (pouvoir exécutif, majorité absolue à l’Assemblée nationale et au Sénat) pour gouverner.

A contrario, le grand perdant de toute cette période demeure incontestablement l’ancien premier ministre Succès Masra. Nommé premier ministre l’année dernière à la surprise générale, il a gouverné en cohabitation avec l’actuel président et se faisait d’ailleurs appelé ‘’copilote’’. A cet effet, il est comptable d’une partie du bilan de la transition, notamment de la mort de Yaya Dillo dont il avait annoncé pompeusement l’ouverture d’une enquête internationale. Ayant prôné le boycott des élections du 29 décembre dernier, les observateurs de la vie politique tchadienne étaient surpris de l’entendre dire plus tard « être encore prêt à travailler de nouveau avec le Président de la République » Ses atermoiements ont poussé son parti politique à n’être représenté nulle part dans les institutions du pays. C’est à se demander dans quel état sera le parti Les Transformateurs lors de la prochaine échéance électorale prévue dans quatre ans, en 2029 ?

Au final, les nouvelles autorités du Tchad sont bien déterminées à donner une image hautement positive du pays. A la fin du mois de novembre 2024, elles avaient forcé le respect et l’admiration des Africains en annonçant le retrait des troupes françaises du pays, arguant notamment que leur présence n’avait rien apporté de positif au Tchad. L’intense activité diplomatique observée ces dernières semaines et visant à faire élire Abbas Mahamat Tolli à la présidence de la BAD lors de la prochaine élection au sein de cette institution de référence en est une autre illustration de cette dynamique. Tout comme la communication du Président, le Maréchal Mahamat Idriss Deby Itno lors du dernier sommet de l’Union africaine, où il exhortait ses pairs à plus d’actions. « Tout ceci reflète la détermination du Tchad à contribuer activement au développement de l’Afrique », estime un officiel.

 Serge Hengoup