Commission de l’Union Africaine : Moussa Mahamat Fakir a-t-il échoué ?

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Après deux mandats à la présidence de la Commission de l’Union Africaine, Moussa Mahamat Fakir est parti. Place désormais à Mahamoud Ali Youssouf. Le bilan du Tchadien est à mille lieues d’être reluisant.  

Ancien Premier ministre du Tchad (24 juin 2003 – 3 février 2005) et également ancien ministre des Affaires étrangères (2008 – 2017), Moussa Mahamat Fakir avait une expérience probante et présentait un CV alléchant au moment de remplacer la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma à la présidence de la Commission de l’Union africaine. Elu en janvier 2017 au septième tour du scrutin face à la candidate kenyane Amina Mohamed, il entre concrètement en fonction le 14 mars de la même année. En février 2021, Moussa Mahamat Faki, seul candidat en lice, est réélu pour un mandat de 4 ans qui a pris fin au mois de février dernier. A la suite de ses mandats, et au vu de la situation actuelle de l’Afrique qui est peu enviable, où les guerres et conflits armés se multiplient de plus en plus, où les coups d’Etat foisonnent avec un recul criard de la démocratie, peut-on dire de lui qu’il a été une erreur de casting ? Oui !

L’engagement de faire taire les armes à l’échelle du continent a été une illusion monumentale

En guise de profession de foi, il publiait avant l’élection de 2021 qui devait lui octroyer un second mandat « Ma vision pour le mandat 2021-2024 » Dans le document de 17 pages, il présentait 8 priorités : parachever la réforme institutionnelle et renforcer le leadership de la Commission ; renforcer la responsabilité redditionnelle en matière administrative et financière ; faire taire les armes ; conduire à bon port certains projets intégrateurs ; faire reculer la pauvreté, se battre pour l’autosuffisance alimentaire, la résilience, à travers un nouvel essor de l’agriculture et de l’économie bleue, la protection de l’environnement ; opérationnaliser les politiques en faveur des jeunes et des femmes ; impulser la pensée africaine sur les déterminants patents des crises et ressourcer nos partenariats stratégiques. Maintenant qu’il est parti, laquelle de ces priorités a été atteinte ? Bien malin celui qui pourra répondre positivement à cette question. C’est la raison pour laquelle il faut le souligner immédiatement : son successeur aura du pain sur la planche car il laisse une Afrique morcelée, en proie à de multiples et interminables conflits armés qui appauvrissent davantage les populations et les poussent à vivre de plus en plus en dessous du seuil de la pauvreté.

Pourtant, il avait pris l’engagement de faire taire les armes à l’échelle du continent : « Eradiquer le terrorisme dans le Sahel, la région du Lac Tchad, au Mozambique, en Tanzanie et en Somalie, consolider la paix en République centrafricaine, au Soudan du Sud, en Libye, au Soudan et apporter la contribution de l’Afrique à la solution du conflit au Sahara Occidental, vont constituer le principal champ de faire taire les armes. » La réalité est là : une illusion monumentale. Aux conflits déjà existants, se sont ajoutés d’autres, davantage plus meurtriers : l’Ethiopie, pays qui abrite le siège de l’Union africaine a été pendant son second mandat le théâtre d’une guerre civile entre l’Etat central et la région du Tigré. Un conflit fratricide qui s’est déroulé sous le nez et la barbe de l’UA ; tout semble terminé maintenant, mais au prix de quoi ! Au Soudan, la guerre civile qui sévit est presque oubliée par l’institution d’Addis-Abeba qui peine à initier concrètement des actions, des médiations afin d’y ramener la paix. A Khartoum selon divers témoignages, les rares organisations humanitaires qui ont encore le courage d’y travailler parlent d’une catastrophe à nul autre pareil ; conséquence de nombreux réfugiés affluent très souvent au Tchad voisin, afin d’y trouver éphémèrement un havre de paix. Alors que le pays a aussi ses problèmes et pas des moindres : une fragilité et une instabilité qui ne tiennent parfois qu’à rien. Une autre guerre qui ne va pas reluire le bilan de Moussa Mahamat Fakir est celle qui sévit en République démocratique du Congo. Les rebelles du M23 qui sont soutenus de notoriété publique par le Rwanda, ont pris leurs quartiers depuis la fin du mois de janvier, dans le Nord et le Sud Kivu. A partir de l’Est de l’ex-Zaïre, ils progressent tranquillement, occupant les autres régions sous les regards, la bienveillance et la lâcheté de la communauté internationale, et de…l’Union Africaine notamment.

Sur le continent, les militaires se sont installés au pouvoir de manière provisoirement définitive

Comme on le voit, l’ancien Premier ministre d’Idriss Deby Itno n’a pas réussi à faire taire les armes à l’échelle du continent. Au-delà des guerres qui déchirent encore plusieurs pays africains, les armes ont beaucoup tonné à cause des coups d’Etat. Plusieurs pays à l’instar de la Guinée, du Mali, du Niger, et du Burkina Faso ont vu leurs présidents élus démocratiquement renversés par des militaires qui se sont installés au pouvoir de manière provisoirement définitive. Une incongruité lorsque l’on sait que le Département des Affaires Politiques (DAP) de la Commission de l’Union africaine (CUA) a pour mandat de « promouvoir la bonne gouvernance, la démocratie et les élections démocratiques en Afrique. » Ce mandat s’inscrit d’ailleurs dans divers instruments de l’Union africaine tels que la Charte africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance de 2007, la Déclaration de l’OUA sur les principes régissant les élections démocratiques en Afrique de 2002 et les Directives de l’Union africaine pour les Missions d’observation et de Suivi des élections de 2002 ; et tout ceci est mis en œuvre par l’Unité de la Démocratie et de l’Assistance Electorale (UDAE) qui est situé au sein du DAP.

Au fait, quel problème avait Moussa Mahamat Fakir avec son pays d’origine ? Le Tchad qui vient d’entrer définitivement dans la cinquième république a organisé plusieurs scrutins pendant la période de transition, à la suite du décès de son président en avril 2021 : un référendum (17 décembre 2023), une présidentielle (06 mai 2024), des législatives, provinciales et communales (29 décembre 2024) et des sénatoriales (25 février 2025). Il faut signaler que lors de chaque scrutin, aucune mission internationale d’observation électorale de l’UA n’a été aperçue dans le pays ; pendant la même période cependant, l’UA déployait des missions dans les autres pays africains.

« Le renforcement du leadership de la Commission requiert une attention particulière », disait l’ancien Président de la Commission de l’Union africaine dans sa profession de foi en 2021. A en croire la presse kenyane qui cite comme source plusieurs diplomates, le 8 février dernier à Dar es Salam en Tanzanie, au cours du sommet entre l’EAC (Communauté d’Afrique de l’Est) et la SADC (Communauté de Développement de l’Afrique Australe) consacré à la guerre entre la RDC et le M23, Moussa Mahamat Fakir a été exclu de la salle où se tenaient les discussions. Une insulte et une crise diplomatique qui prouvent si besoin en était que le renforcement du leadership de la Commission n’a été qu’un vain mot et qu’il reste encore à établir. Autrement dit, comment expliquer le fait que le Président de la Commission de l’Union africaine soit mis à la porte des pourparlers pour la résolution d’un conflit qui implique des pays du continent ?

L’Union africaine doit impérativement faire sa mue, c’est tout le bien que l’on souhaite à Mahamoud Ali Youssouf, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Djibouti qui est désormais le nouveau Président de la Commission ; lui qui a axé son projet de gouvernance sur la redynamisation de l’institution panafricaine.

Serge Hengoup