A la tête de l’Autorité de régulation du secteur électriqueen RDC, Sandrine Mubenga n’oublie pas ce pour quoi elle s’est lancée dans la science. Aider les gens, subvenir aux besoins de ceux qui n’ont pas accès à l’électricité et surtout utiliser ses connaissances pour aider son pays. Dans une RDC ayant vécu, à l’instar d’une bonne partie de la planète, une année particulièrement dure, sa présence est un véritable rai de lumière, en ces jours sombres, pour de nombreux Congolais.
En République démocratique du Congo (RDC), Sandrine Ngalula Mubenga, la directrice de l’Autorité de régulation du secteur de l’électricité (ARE) s’est lancée dans la fabrication de respirateurs pour aider les hôpitaux qui ne disposaient que de 200 échantillons de l’appareil pour lutter contre la Covid-19. Pour l’ingénieure en électricité et professeur d’université, il était vital de mettre la main à la pâte. « J’avais appris qu’au tout début de la Covid-19, en RDC où nous avons à peu près 85 millions d’habitants, nous n’avions que 200 respirateurs et cela m’a vraiment effrayée ».
Avec son ONG, elle recrute alors des volontaires et conçoit un prototype de respirateur qui sera répliqué en milliers d’exemplaires et rendu disponible dans les hôpitaux. Pour elle, se lancer dans ce projet était d’une évidence implacable. Sa science et ses connaissances, elle les a acquises pour aider les autres.
A quelques watts près
L’histoire de Sandrine Mubenga ne serait peut-être pas la même sans ce qui a failli être une tragédie dans son adolescence. « J’ai failli mourir à cause du manque d’électricité, je me suis tournée vers ma foi et je me suis dit que si j’arrivais à m’en sortir, je résoudrais les problèmes d’électricité chez moi », se rappelle-t-elle. Effectivement, le manque d’électricité a eu une grande incidence sur les premières années de l’actuelle directrice de l’ARE.
« J’avais appris qu’au tout début de la Covid-19, en RDC où nous avons à peu près 85 millions d’habitants, nous n’avions que 200 respirateurs et cela m’a vraiment effrayée ».
Née à Kinshasa, en 1980, et fille d’un diplomate aux Nations unies, Sandrine Mubenga a vécu dans la capitale de la RDC jusqu’à l’âge de 11 ans. « Quand j’avais 11 ans, mon père a pris sa retraite anticipée et nous nous sommes installés dans sa ville natale, à Kikwit, [dans la province de Kwilu, au sud-est de la RDC, ndlr]. C’est une petite ville qui n’avait pas d’eau courante, ni d’électricité. Si vous vouliez voir un film, par exemple, il fallait mettre de l’essence dans le groupe électrogène de la ville », confie Sandrine Mubenga. A 17 ans, elle tombe malade et doit se faire opérer. « J’ai contracté une appendicite aigüe. Il fallait que l’on m’opère d’urgence ; malheureusement, il n’y avait pas d’électricité à l’hôpital général de Kikwit en raison d’une pénurie d’essence ». Pendant trois jours, la famille de la jeune fille cherche du carburant dans la ville alors qu’elle se trouve entre la vie et la mort. « Je me suis tournée vers ma foi et cela a été une révélation pour moi. Au 21e siècle, il était inadmissible que des gens meurent à cause du manque d’électricité. Je me suis promis que si je m’en sortais, je dédierais ma vie à trouver des solutions aux problèmes d’électricité. On a trouvé du carburant et on m’a opérée et je m’en suis sortie », raconte-t-elle. À 18 ans, Sandrine Mubenga part pour Kinshasa où elle débute une année de préparation à l’entrée à l’université polytechnique.
La tête dans les circuits
En 1999, Sandrine Mubenga part pour les Etats-Unis où se trouvent ses parents. Elle rejoint l’université de Toledo, aux Etats-Unis. « L’université proposait un cursus en alternance, un semestre de cours, puis un semestre au sein d’une entreprise ». Elle y décroche une licence, entrecoupée d’alternances chez General Electric, puis chez le spécialiste de l’énergie solaire Advanced Distributed Generation, avant de débuter chez le distributeur d’électricité First Energy. « Je me suis rendu compte que toutes les personnes haut placées avaient un master, alors je me suis inscrite pour en faire un ».
A l’université de Toledo, elle conçoit, pour son projet de master, une voiture hybride en y ajoutant une pile à hydrogène. Pour cette innovation, l’université lui décerne, en 2008, le prix de la meilleure recherche du département de génie électrique.
Durant ces deux années d’études supplémentaires à l’université de Toledo, elle conçoit, pour son projet de master, une voiture hybride en y ajoutant une pile à hydrogène. Pour cette innovation, l’université de Toledo lui décerne, en 2008, année durant laquelle elle obtient son master, le prix de la meilleure recherche du département de génie électrique.
Diplômée, elle enchaîne quelques emplois dans le secteur de l’énergie solaire, avant de créer son entreprise, Smin Power Group, spécialisée dans l’énergie solaire. Deux ans plus tard, elle ouvre une filiale de cette société à Kinshasa afin d’apporter l’électricité aux communautés les plus reculées de RDC.
En 2012, elle retourne à l’université de Toledo s’occuper de la gestion énergétique des cinq campus et leur fait économiser 5 millions de dollars en cinq ans. Elle obtient alors une chaire et devient enseignante en Génie électrique dans l’université qui l’a formée. En 2015, Sandrine Mubenga et son collègue Thomas Stuart décident de régler un problème lié aux batteries lithium-ion.
« Les batteries lithium-ion sont celles qui comptent la plus grande capacité énergétique et elles se sont imposées dans plusieurs domaines : voiture électrique, hybride, énergies renouvelables, téléphonie. Une batterie est composée de plusieurs cellules, qui ne sont pas toutes aussi efficaces. Or, la capacité d’une batterie est déterminée par celle de la cellule la plus faible. Pour conserver une certaine efficacité de sa batterie, il faut donc égaliser les cellules. Il y a deux types d’égaliseurs : les passifs et les actifs. Les premiers sont les plus courants, car les moins chers (1 dollar par cellule), mais sont très peu efficaces. Les seconds sont plus efficaces – ils permettent d’augmenter la capacité d’une batterie d’environ 20-30% –, mais sont très onéreux (10 dollars par cellule). Avec le bi-level equalizer, nous avons couplé l’égalisation passive pour les cycles de charge et l’égalisation active pour la décharge et nous garantissons une augmentation de la capacité de 30% pour un coût de seulement 1,3 dollar par cellule. Le problème est que beaucoup d’industriels rechignent à changer l’ensemble de leurs batteries, ce qui aurait un coût additionnel », explique Sandrine Mubenga.
« On change les batteries de nos voitures électriques tous les cinq ans, car elles sont prétendument usagées. Or une batterie considérée comme trop vieille pour alimenter une voiture contient, en réalité, encore 80 % de sa capacité totale.»
Lorsque l’industrie automobile rechigne à adopter son invention, elle se tourne vers son secteur, l’électricité. « On change les batteries de nos voitures électriques tous les cinq ans, car elles sont prétendument usagées. Or une batterie considérée comme trop vieille pour alimenter une voiture contient, en réalité, encore 80 % de sa capacité totale. Nous pourrions les récupérer, les optimiser avec notre bi-level equalizer et les réutiliser pour alimenter les réseaux électriques. D’autant que ces derniers utilisent de grandes batteries. Et plus la batterie est grande, plus le bi-level equalizer permet de faire des bénéfices ». Cette innovation lui vaudra, en 2018, le prix de l’ingénieur de l’année, décerné par l’Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens (IEEE). Dans la foulée, Sandrine Mubenga obtient son doctorat.
Malgré ses distinctions, Sandrine Mubenga n’oublie pas la promesse qu’elle a faite lorsqu’elle souffrait à 17 ans sur son lit d’hôpital. Son entreprise installe en RDC de nombreux systèmes solaires communautaires dans des zones non desservies par les réseaux nationaux.
Un rai de lumière pour les Congolais exclus des réseaux électriques nationaux.
Elle n’hésite pas à faire plus pour aider. « Une des choses que j’ai instaurée à la création de SMIN Power Group est l’idée de faire de l’alternance. J’avais demandé à mon directeur de recruter des étudiants congolais qui voulaient apprendre le métier. Un étudiant qui est venu chez nous m’a dit qu’il aimait bien ce qu’il faisait, mais qu’il avait du mal à payer pour ses études. En 2018, nous avons lancé un système de bourse. Nous avons offert six bourses, cette année-là, pour que des étudiants congolais puissent payer leurs études dans le domaine des sciences, technologies, ingénieries et mathématiques (STEM). La réponse a été si positive que nous avons créé, avec quelques amis, l’ONG STEM DRC Initiative, une organisation à but non lucratif qui a pu offrir 63 bourses d’études en 2019 », confie la native de Kinshasa. Elle espère, d’ici 2030, fournir 700 bourses d’études et espère pouvoir apporter l’électricité dans toutes les régions de la RDC qui n’en ont pas encore. « Pour moi, la vie est une étincelle que l’électricité peut préserver », philosophe-t-elle.
Elle espère, d’ici 2030, fournir 700 bourses d’études et espère pouvoir apporter l’électricité dans toutes les régions de la RDC qui n’en ont pas encore.
Le 17 juillet 2020, à la création de l’ARE en RDC, elle est nommée directrice générale de la nouvelle institution et peut se battre, de manière plus officielle, pour apporter de l’électricité aux Congolais. D’une certaine manière, Sandrine Mubenga est un véritable rai de lumière pour les Congolais exclus des réseaux électriques nationaux, et plutôt deux fois qu’une quand on voit le plaisir avec lequel elle le fait. Comme le disait l’Abbé Pierre, un sourire coûte moins cher que l’électricité, mais donne autant de lumière.
Servan Ahougnon
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