Tous les candidats d’un voyage court séjour en France vous le diront. Il devient de plus en plus difficile d’obtenir un visa. La Cimade, une association française de solidarité active avec les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile a lancé l’an dernier une campagne d’observation dans six pays différents dont le Maroc, l’Algérie, le Sénégal et le Mali afin de dresser un état des lieux des pratiques consulaires, comprendre l’impact des dernières évolutions législatives en la matière et pouvoir apporter des propositions concrètes d’amélioration au dispositif en place.
Ceux qui demandent un visa pour se rendre en France se perdent dans un labyrinthe administratif et sont en proie à un univers kafkaïen. Les conditions de plus en plus draconiennes instaurées au fil du temps ont petit à petit créé un climat faisant clairement sentir aux ressortissants des pays du Sud que le principe de la libre circulation des personnes, hissé naguère en étendard par les Occidentaux face au bloc soviétique, ne leur était pas applicable dans les mêmes termes…Pour entamer la démarche, ils doivent obligatoirement passer par un serveur téléphonique extérieur et fournir une liste impressionnante de documents. Il faut par exemple se rendre dans une banque et payer 5 000 francs CFA une carte à gratter qui donne un code personnel d’appel. « Il faut ensuite dépenser des fortunes à patienter et se perdre sur un serveur vocal », témoigne un Ivoirien dans le rapport.
Un dispositif opaque
Le constat est accablant : entre l’impossibilité d’accéder au consulat, le flou complet des documents à produire dont la liste inexistante ne cesse de changer selon l’interlocuteur, l’argent qu’il faut verser et qui n’est pas remboursé même si la demande est refusée, le soupçon de corruption, les délais d’instruction extrêmement variables, les refus oraux sans explications ni motivation, les informations erronées sur les voies de recours quand le demandeur a la chance d’obtenir une information, on ne sait plus à la fin ce qui apparaît le plus choquant. Opacité des procédures et des décisions, coût élevé de la procédure pour tout candidat, recours des consulats à des opérateurs privés qui se substituent à l’administration, passe-droits hissés au rang d’arguments diplomatiques, vérifications répétées et outrancières des éléments fournis sont les autres forfaits enregistrés dans les consulats français. Ce rapport d’observation, développe un diagnostic très critique des dispositifs et des pratiques. La procédure de délivrance varie considérablement selon les consulats et parfois à l’intérieur d’un même consulat. La loi étant très peu précise, elle laisse une grande marge de manœuvre aux consulats renforcée par leur éloignement géographique. Chaque consulat met en place sa propre procédure et ses propres critères. Ce dispositif opaque dans lequel sont ballottés les demandeurs est accompagné d’un cruel manque d’informations notamment en ce qui concerne les motifs de refus de visa et les possibilités de contester les décisions consulaires. L’impression de non droit qui règne dans de nombreux consulats encourage alors la fraude et la corruption qui rendent encore plus prohibitif le coût d’une demande de visa, déjà hautement dissuasif. Les conséquences de cet état de fait sont nombreuses.
Une image écornée
On pense d’abord aux droits fondamentaux qui sont bafoués. Outre les possibilités de visites privées et courtes, c’est le rapprochement familial qui est fortement visé : les membres de famille qui veulent rejoindre leurs proches pour s’établir et vivre avec eux sont parmi les principales victimes de ces pratiques. Mais au-delà, il faut prendre conscience des dégâts qui sont faits quant à l’image de la
France dans de nombreux pays. La perception de l’écart grandissant entre les déclarations officielles vantant l’Etat de droit et la réalité, la prégnance de mesures discriminatoires et humiliantes ont de graves effets. Il est difficile également de ne pas s’interroger sur leurs conséquences quant au développement des filières d’immigration illégale. Quand la voie normale d’accès au territoire français est rendue inaccessible, quand il devient impossible de s’entretenir avec une administration pour comprendre les conditions et les raisons d’une décision, il est inévitable qu’une partie des « recalés » vienne à être tentée de recourir à des voies détournées.
Le rapport de la Cimade conclut cette enquête par une série de propositions réglementaires et concrètes qui, si elles étaient adoptées et mises en œuvre, rendraient moins indigne la façon dont la France traite ceux qui souhaitent s’y rendre en instaurant quelques principes de respect, de transparence et d’équité. Il s’agit par exemple de fixer par décret la liste des pièces justificatives à fournir pour chaque type de demande de visa, de généraliser la délivrance d’un récépissé de demande de visa, d’imposer aux consulats une réponse dans le délai imparti, d’instaurer l’obligation d’une motivation circonstanciée des refus de visa pour tous les demandeurs. Le rapport suggère aussi de privilégier la délivrance des visas de circulation qui permettent aux intéressés de faire plusieurs allers-retours sans avoir à solliciter à chaque fois un nouveau visa et de convoquer les demandeurs à des dates et heures fixes.
Jean Vincent Tchienehom