Étienne Tshisekedi, mort mercredi à Bruxelles à l’âge de 84 ans, a marqué de son empreinte la vie politique de la République démocratique du Congo, d’abord comme pilier du régime du dictateur Mobutu avant de se muer en éternel opposant aux dirigeants en place à Kinshasa.
« Tshitshi », comme le surnommaient ses partisans, avait quitté la capitale congolaise pour Bruxelles le 24 janvier à la suite d’une brusque dégradation de son état de santé.
Son parti négociait alors avec les alliés du président Joseph Kabila un partage du pouvoir jusqu’à la prochaine élection présidentielle, censée avoir lieu fin 2017 en vertu d’un accord politique signé le 31 décembre.
Battu en novembre 2011 à l’issue d’un scrutin entaché d’irrégularités massives, il aura refusé jusqu’au bout de reconnaître la légitimité de M. Kabila.
Se proclamant « président élu » après la publication des résultats officiels de cette élection, « le Vieux », comme l’appellent ses compagnons d’engagement politique, s’engage alors dans une politique de boycottage des institutions qui va profondément affaiblir son parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS).
En août 2014, il est évacué de Kinshasa vers la capitale belge à bord d’un avion médicalisé. En convalescence, il semble très diminué et n’apparaît presque plus en public. Il ne reviendra que fin juillet 2016, accueilli triomphalement par des centaines de milliers de personnes.
De taille moyenne, les épaules larges et la tête ronde toujours coiffée d’une casquette, M. Tshisekedi cachait sous des airs bonhommes un caractère entêté, autoritaire et imprévisible.
– ‘Le Sphinx’ –
Dès les première heures de l’indépendance du pays en 1960, « le Sphinx » (un autre de ses surnoms) a accompagné l’ascension de Joseph-Désiré Mobutu, qui allait plus tard régner d’une main de fer pendant 32 ans sur le pays, rebaptisé entre-temps Zaïre.
Né le 14 décembre 1932 à Kananga, au Kasaï, dans le centre de ce qui était alors le Congo belge, Étienne Tshisekedi wa Mulumba est encore étudiant, en septembre 1960, lors du premier coup d’État de Mobutu, qui « neutralise » le président Joseph Kasa-Vubu et son Premier ministre Patrice Lumumba, en guerre ouverte l’un contre l’autre.
Il devient alors commissaire adjoint à la Justice dans le gouvernement transitoire qui fera arrêter en janvier 1961 Lumumba, héros de l’indépendance dont l’assassinat, quelques jours plus tard, sera sous-traité aux rebelles sécessionnistes du Katanga.
La même année, M. Tshisekedi devient le premier docteur en Droit du Congo indépendant. Après le coup d’État de Mobutu en novembre 1965, il enchaîne les portefeuilles (Intérieur, Justice, Plan). En 1966, il justifie comme une « action préventive » la pendaison publique de quatre hauts fonctionnaires accusés de complot contre le chef de l’État à qui l’on aura préalablement crevé les yeux.
Mobutu et lui étaient alors « les meilleurs amis du monde, ils couraient les filles ensemble », se souvient un proche sous le couvert de l’anonymat.
Dès 1969, cependant, son étoile semble se ternir dans la galaxie mobutiste. Certains de ses proches disent qu’il commence à prendre ses distances, mais, s’il n’est plus ministre, il continue d’enchaîner des postes haut placés dans l’appareil d’État.
– Courage –
La rupture survient en 1980. M. Tshisekedi cosigne une lettre ouverte au « Citoyen Président-Fondateur » dans laquelle treize députés dénoncent les dérives dictatoriales d’un régime kleptocratique.
Après un premier séjour en prison, il est libéré en 1982 et participe dans la clandestinité à la fondation de l’UDPS, parti constitué pratiquement sur une base monoethnique luba kasaïenne.
A la faveur de l’ouverture démocratique, il est élu Premier ministre en 1992. Il ne tiendra que quelques mois.
Après la chute de Mobutu en 1997, il s’oppose rapidement à son tombeur, le rebelle Laurent-Désiré Kabila, père de l’actuel chef de l’État.
C’était un homme « plutôt courageux autant que têtu », se souvient un spécialiste du Congo, notant que Tshisekedi s’est levé « devant Laurent-Désiré Kabila à une époque où il était bien le seul à le faire ».
A l’issue de la deuxième guerre du Congo (1998-2003), Tshisekedi, qui a toujours prôné le combat politique non violent, refuse de participer au gouvernement de transition et s’installe dans le rôle de l’irréductible opposant, refusant de participer en 2006 aux premières élections libres depuis l’indépendance du pays.
Dans les derniers mois de sa vie, il aura multiplié les consignes contradictoires. Refusant de participer en septembre au « dialogue national » proposé par M. Kabila, le Sphinx appelle le peuple à descendre dans la rue jusqu’à ce que le chef de l’Etat cède la place. Mais il finit par donner son aval à la participation de l’UDPS aux négociations ayant débouché sur l’accord du 31 décembre, qui consacre le maintien au pouvoir de M. Kabila au-delà du terme de son mandat.
Afp