Le Made in Africa : une opportunité sous-exploitée par un continent en quête de puissance

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L’Afrique concentre 30 % des réserves mondiales de minerais et 60 % des terres arables inexploitées. Pourtant, son label “Made in Africa” reste davantage un slogan qu’une puissance économique. Depuis trente ans, on en parle dans les conférences et les tribunes, mais le continent peine encore à transformer son potentiel immense en force collective.

Vu de l’extérieur, on parle de sommets Russie–Afrique, États-Unis–Afrique, Turquie–Afrique, France-Afrique. Rarement d’un pays africain en particulier. Cette perception globale pourrait être une arme de puissance. Elle est, pour l’instant, une faiblesse.

1. Branding continental vs branding national

La mondialisation a montré la puissance des blocs : l’Union européenne, l’ASEAN en Asie du Sud-Est, le Mercosur en Amérique latine. L’Afrique, elle, reste piégée entre deux logiques contradictoires :
Une image extérieure unifiée, où le continent est vu comme un tout.
Une réalité intérieure fragmentée, où chaque pays développe son propre nation branding.

Ainsi, le Nigeria exporte son soft power musical (Afrobeats, Nollywood), le Maroc son tourisme et son hub aéronautique, l’Afrique du Sud sa nature et ses infrastructures, la Côte d’Ivoire son cacao ou ses icônes sportives. Mais cette somme de marques nationales ne forme pas une marque continentale.

Résultat : l’Afrique est davantage connue par ses individus (Didier Drogba, Davido, Samuel Eto’o, Chimamanda Ngozi Adichie) que par ses industries. C’est le signe d’une notoriété fragmentée, alors qu’une notoriété continentale bien orchestrée aurait bien plus de poids. Comme le disait l’ancien président de la BAD, Donald Kaberuka : « L’Afrique ne manque pas de talents ni d’opportunités. Elle manque de cohérence et de mutualisation. »

 2. Les faiblesses structurelles : fragmentation et mésententes

Au-delà de la communication, les réalités politiques et sécuritaires freinent cette unité. Le continent reste traversé par :
● Des conflits de voisinage (Rwanda–Congo, AES, Maroc – Algérie).
● Des mésententes institutionnelles au sein même de la CEDEAO ou de l’Union africaine.
● Une instabilité qui fragilise l’attractivité économique.

La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), signée en 2018 et regroupant 54 pays, représente un marché de 1,3 milliard de consommateurs et un PIB cumulé de 3 400 milliards USD (Banque mondiale). Sur le papier, c’est une révolution. Dans les faits, les barrières non tarifaires, l’insuffisance d’infrastructures et le manque de volonté politique freinent son déploiement.

Tant que l’Afrique n’offre pas un marché continental réellement intégré, elle restera vue comme un assemblage d’opportunités locales et non comme une puissance globale.

3. Le Made in Africa doit sortir de l’exotisme

Aujourd’hui, le Made in Africa évoque encore trop souvent le textile, l’artisanat ou l’art. Une image valorisante, mais réductrice.
Un continent qui représente 30 % des réserves mondiales de minerais, 60 % des terres arables non exploitées, et une population de 1,4 milliard d’habitants dont 60 % de jeunes ne peut pas se limiter à un positionnement exotique.
La puissance viendra d’une diversification assumée :
Technologies : le Nigeria et le Kenya sont déjà des hubs numériques, avec des levées de fonds record dans la fintech (Flutterwave, Paystack).
Industries lourdes : le Maroc attire Renault et Stellantis, l’Éthiopie développe une filière textile exportatrice.
Énergies : l’Afrique du Sud et le Kenya investissent dans le solaire et la géothermie.
Agro-industrie : la Côte d’Ivoire et le Ghana restent leaders mondiaux du cacao, mais exportent encore peu de produits transformés.

L’Afrique doit apprendre à raconter non seulement son authenticité, mais aussi sa modernité industrielle.

 4. La mutualisation comme clé stratégique

L’erreur serait de multiplier les slogans nationaux sans cohérence. Le futur du Made in Africa réside dans un véritable branding continental.
Cela suppose :
● Des institutions fortes pour porter une vision commune sur 20–30 ans.
● Une industrialisation locale répondant d’abord aux besoins africains avant d’exporter massivement.
● Une notoriété collective qui positionne l’Afrique comme un bloc crédible face aux États-Unis, à l’Europe ou à la Chine.
Comme le rappelle Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’OMC : « L’Afrique doit cesser d’être un simple fournisseur de matières premières pour devenir un acteur central des chaînes de valeur mondiales. »

Comme le rappelle Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’OMC : « L’Afrique doit cesser d’être un simple fournisseur de matières premières pour devenir un acteur central des chaînes de valeur mondiales. » 

5. Du capital symbolique au capital économique

La faiblesse de l’Afrique n’est pas seulement économique : elle est perceptive.
● À l’extérieur, le continent est vu comme un réservoir de ressources, rarement comme une marque mondiale.
● Pourtant, dans l’économie de la perception, la notoriété précède l’investissement : elle crée la confiance, attire les capitaux et fixe les règles du jeu.

Une Afrique perçue comme forte attire les capitaux, impose ses conditions et influence les marchés. Une Afrique fragmentée reste consommatrice des modèles extérieurs.

La notoriété continentale peut devenir un capital économique au même titre qu’une base de données clients ou qu’un brevet. Elle peut doubler la valorisation d’une entreprise, accélérer des levées de fonds et renforcer la confiance des investisseurs.

Conclusion : penser en un, rayonner en bloc

Le Made in Africa est encore une promesse non tenue. Mais il peut devenir l’un des leviers les plus puissants du XXIe siècle si le continent cesse de se limiter à un branding national dispersé pour investir dans un branding continental fort.

La prospérité viendra de la capacité à mutualiser les forces, à construire une image cohérente et à transformer ce capital immatériel en puissance tangible.

Parce qu’au XXIe siècle, la vraie bataille n’est pas seulement économique. Elle est aussi celle de la notoriété collective : un capital immatériel qui, s’il est orchestré, peut devenir l’un des leviers les plus puissants du développement africain.

Le Made in Africa ne doit plus être une promesse. Il doit devenir une stratégie.

Melissa Amoa/Ecofin