DISCOURS ANTI-SORCELLERIE DANS LES PENTECÔTISMES CAMEROUNAIS

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Anthropologue, méthodologue et directrice de l’école doctorale de l’Université évangélique du Cameroun, professeure Sariette Batibonak pose un regard froid et profond sur une « rhétorique explosive » semant la discorde et l’effritement dans les familles.

«Ton père ne peut rien contre toi (…). Nous allons briser les liens de la sorcellerie dans vos vies (…). Quel que soit le lien que vous avez, les sorciers n’ont pas de pouvoir sur vous. Ma famille m’avait attaché dans la sorcellerie, on m’avait nyongo (…). Prions pour lier tous les plans maléfiques de nos parents (…) dirigés contre nous. Quelle est cette sorcellerie ? La sorcellerie n’a pas de pouvoir sur vous. Soyez sans pitié pour ces sorciers qui vous dérangent. Le diable rôde cherchant qui il va dévorer ». Ce discours, au mieux, cette réalité fait désormais partie des commodités qui ponctuent la vie, de jour comme de nuit, dans plusieurs villes et villages du Cameroun depuis près d’une dizaine d’années. Des démonstrations dont l’ancrage social et la particularité ont poussé Sariette Batibonak, anthropologue, méthodologue et directrice d’écoles doctorales, notamment celle de l’Université évangélique du Cameroun, a consacré des années d’études pour feuilleter les pages blanches et noirs du « Discours anti-sorcellerie dans les pentecôtismes camerounais ». Titre de son livre de 236 pages reparti sur 9 chapitres et paru chez « l’Harmattan » dans la collection « Émergence africaine » fin 2017. Observant « la singularité des discours pentecôtistes», cette intellectuelle soutient, en page 144 de cet ouvrage scientifique, « l’essentiel des pratiques des centres de délivrance a pour but de combattre la sorcellerie par des actes mais également par des paroles. C’est ce qu’il a été possible de constater lors de la veillée de prière du 12 février 2012 au « Ministère du Christ vivant ». Ce ministère est situé au Nord de la ville de Yaoundé, dans le quartier Manguiers. » Elle poursuit en soulignant que ce type d’office est dirigé par plusieurs pasteurs qui énoncent un discours rendant les sorciers responsables de tous les maux dont souffrent les fidèles. Minutieuse dans sa démarche de chercheuse, Sariette Batibonak fait témoigner un pasteur du centre de délivrance Talitha Koumi à Yaoundé : « Lorsque vous êtes possédés par un membre de votre famille, ou si vous êtes pris dans le nkong ou dans le famla, c’est la possession la plus dangereuse, car dès que vous êtes délivrés, soit cette personne meurt, soit elle devient folle, soit elle est paralysée à vie (…). En vingt ans d’expérience, je peux relater de nombreux cas de ce genre (…). Faire la délivrance de ces cas, c’est délicat ». 20 ans d’expérience ! Voilà où se situe les origines de la propagande du discours anti-sorcellerie des églises pentecôtistes au Cameroun. D’ailleurs, après avoir dressé l’ « état des lieux sur les questions sorcellaires » au chapitre I de cet ouvrage, notamment en pages 27 et 28, Sariette Batibonak apporte, au chapitre 2 consacré à l’analyse de « l’émergence des pentecôtismes camerounais »,  des précisions sur la gestation du phénomène dans notre société : « Au Cameroun, les leaders religieux, notamment pentecôtistes, se sont arrogé le pouvoir de catégorisation des phénomènes sorcellaires. Ils ont aussi procédé à la catégorisation des sorciers ». Établissant une filiation entre ses mouvements religieux pentecôtistes et la droite religieuse américaine, elle rappelle que les Nouvelles églises, majoritairement pentecôtistes, à la suite des missionnaires de la période précoloniale et coloniale, supplantent ainsi devins-guérisseurs-féticheurs dans les pratiques d’accusation. Tout ceci débouche, selon l’auteure, sur « la production des nouvelles croyances » (chapitre 9). Des croyances amplifiées par l’envahissement explosif de l’univers médiatique et marketing par des pasteurs « vendeurs des miracles de guérison et de délivrance ».  « Cette situation, peut-on, lire à la page 197 de cet ouvrage, contribue à rendre omniprésentes les forces occultes et à maintenir une sorte d’ « insécurité spirituelle». Ce qui pourrait ouvrir de nouveaux champs de réflexions et d’actions pour délivrer certaines personnes otages des pasteurs et prophètes pentecôtistes au Cameroun.

interview

1- Professeure, vous avez publié récemment chez l’Harmattan un ouvrage qui étale le discours anti-sorcellerie chez les pentecôtismes camerounais. Peut-on avoir une idée de la genèse de ce travail qui colle à l’actualité au Cameroun ?

Autour des années 2010, émerge une triple effervescence, religieuse, sorcellaire et médiatique. Ce constat a paru intéressant à anthropologiser. Les religieux pentecôtistes tiennent les rênes de ce foisonnement en mettant en place un arsenal de rencontres de chasse aux sorciers et aux sorcières. Les faits de sorcellerie sont évoqués dans la quasi totalité des univers. Ces phénomènes qui relèvent de l’imaginaire rencontrent un terreau familier camerounais. L’ensorcelé voit la sorcellerie partout. Tout se passe comme si le subconscient collectif sur-utilise la rhétorique de contre-sorcellerie. À en croire les inculpations, les individus se sentent encerclés par les « forces occultes ». Cette étreinte est d’autant plus « dangereuse » qu’elle serait issue du cercle familial, de l’intérieur, supposé être le cadre de l’intimité. Les sorciers sont considérés comme responsables de tous les heurts, malheurs ou de toutes les infortunes. Dans ce contexte, les entrepreneurs religieux se sont donné pour objectif de faire de la spiritual warfare, leur cheval de bataille.

2- À lire votre ouvrage, on a l’impression que les discours anti-sorcellerie amplifiés par des pasteurs deviennent nocifs à la cohésion sociale et systémique, notamment à travers la désagrégation de la cellule familiale. Comment l’expliquer ?

Au Cameroun, la parenté constitue la principale source de refuge et de sécurité en cas de difficulté. Paradoxalement, dans le même temps, elle est source de menaces. Ce paradoxe, d’un entre soi familial potentiellement source de danger et cadre de sécurité ou espace d’expression de toutes les formes de solidarité du tissu social, est remis en cause par la sorcellerie intrafamiliale brandie par les pentecôtismes orientés vers la délivrance. Suivant la rhétorique anti-sorcellaire entretenue par certains religieux, l’ambivalence et la fluidité des phénomènes occultes semblent se dessiner de plusieurs manières dans ce paradoxe de la parenté. Les interprétations sorcellaires mettent en exergue la menace des forces occultes. Un proche, un parent est presque toujours à l’origine des malheurs. Il est intéressant de revisiter cette question à cause du glissement de ces accusations de la sphère privée vers la sphère publique relayées par les médias.

3- Au-delà des discours, les pasteurs « délivreurs » maintiennent les fidèles en opérant, témoigne-t-on, des miracles visibles et palpables. Vous semblez occulter cet aspect des choses dans votre ouvrage…

Effectivement, les « délivreurs » et les fidèles déclarent les miracles dans leurs discours. Dans ces réunions de combat spirituel, les « temps de témoignage » sont de mise. Témoigner représente une forme d’aguichage. Attirer par tous les moyens, tel est l’un des moyens pour « faire vivre » la chapelle. Observer les miracles relève-t-il du scientifique ? Comment les décrire ? Comment les rendre compréhensible ? Les approches socio-anthropologiques mobilisent essentiellement l’observation participante sans s’attarder sur les vérifications. Notre posture analytique a donc privilégié les descriptions ethnographiques. Miracles, témoignages, guérisons, délivrances sont clamés dans les rituels pentecôtistes pour exhiber la toute-puissance de leur divinité. Si les « délivreurs » parviennent à des « résultats », cela signifie que les rituels « fonctionnent », les fidèles y trouvent leur compte.

4- Selon votre analyse, le discours anti-sorcellerie n’est pas une rhétorique nouvelle et n’est point l’apanage exclusif des prédicateurs pentecôtistes. Comment percevez actuellement le déploiement des autres acteurs sociaux auteurs également des discours anti-sorcellerie ?

On entend par effervescence une mobilisation périodique des acteurs sociaux autour d’une question, d’un débat se manifestant par des comportements collectifs caractéristiques. C’est dans ce sens que nous mobilisons l’expression « effervescence sorcellaire ». Dans la période précoloniale, et remontant à un passé récent, les représentants du religieux, les prophètes, les « nganga », organisaient des sessions de chasse aux sorciers et aux sorcières en parcourant des contrées pour délivrer les populations du mauvais sort et en accusant publiquement les présumés coupables. De nos jours, certains pasteurs pentecôtistes et des guérisseurs « traditionnels » prolongent cette lutte de contre-sorcellerie. Ce continuum de la pensée dite ancestrale s’observe de nos jours à travers les nouveaux prophètes guérisseurs de différents univers religieux.

5- Vous êtes anthropologue, méthodologue spécialiste des pentecôtismes africains. Comment expliquer cette focalisation sur le religieux ?

Une partie importante de l’archéologie des sciences de l’homme, du social révèle que l’anthropologie s’est façonnée à partir des recherches sur le religieux. Comprendre le religieux s’érige en grille de lecture pour des visions évolutionnistes de l’humanité. Les études sur le religieux accrochent. La rédaction en moins de 5 ans de plus d’une cinquantaine de communications, papiers, chapitres d’ouvrages, articles, ouvrages individuels, et ouvrages collectifs sur la thématique le démontre à suffisance. Outre la corrélation entre pentecôtismes et sorcellerie, nous étudions aussi l’arsenal médiatique de cette religiosité. Les autres axes de recherche gravitent autour du genre, de la santé, du développement local, de l’entrepreneuriat, de la modernité africaine et de la médialité.

Guy Modeste DZUDIE