Désigné par la mouvance présidentielle pour 2026, Romuald Wadagni, ministre d’État de l’Économie et des Finances, quitte l’ombre des chiffres pour entrer en politique. Technocrate reconnu, il devra désormais convaincre au-delà des marchés, tant les attentes sociales sont grandes.
Dans la nuit du 30 au 31 août, la mouvance présidentielle béninoise a tranché. L’Union Progressiste – Le Renouveau (UP-R) et le Bloc Républicain (BR) ont désigné Romuald Wadagni comme candidat à la présidentielle de 2026. À 49 ans, le ministre d’État de l’Économie et des Finances devient officiellement l’héritier politique de Patrice Talon, ouvrant une nouvelle phase dans la vie publique d’un homme jusqu’ici plus à l’aise avec les chiffres qu’avec les foules. Ces derniers mois, son nom circulait avec insistance dans les coulisses du pouvoir, en concurrence avec celui de Joseph Djogbénou, président de l’UPR, principal parti de la mouvance. Mais à l’issue du conclave organisé par le chef de l’État le samedi 30 août, à son retour de vacances, c’est finalement Romuald Wadagni qui a été choisi. Un choix logique, tant il apparaît aujourd’hui comme la personnalité faisant le plus consensus au sein des sphères dirigeantes.
De Lokossa à Harvard : l’itinéraire d’un premier de classe
Né en 1976 à Lokossa, dans le sud du Bénin, Romuald Wadagni est le fils d’un statisticien-économiste originaire du Mono-Couffo, un département qui n’avait encore jamais donné de président au pays. Son père, ancien haut cadre du PSD de Bruno Amoussou, fut également membre de l’Internationale socialiste. Très tôt, le “jeune Wadagni” s’oriente vers les mathématiques appliquées et la finance. Après un master décroché en France à Grenoble – dont il sort major –, il part aux États-Unis, où il devient expert-comptable certifié (CPA) et parachève sa formation à la Harvard Business School.
Ce parcours académique lui ouvre les portes de Deloitte, l’un des plus grands cabinets d’audit mondiaux. Pendant 17 ans, il y forge une réputation de technicien rigoureux et ambitieux, et gravit tous les échelons jusqu’à devenir, en 2012, l’un des plus jeunes associés du groupe en France, avant de prendre la tête du développement africain du cabinet. Chargé de l’expansion africaine du cabinet, il contribue à structurer les activités de Deloitte dans plusieurs pays du continent (Côte d’Ivoire, Sénégal, Gabon, etc.) et ouvre notamment de nouveaux bureaux en République démocratique du Congo (Kinshasa et Lubumbashi).
2016 : la rencontre avec la politique
En 2016, lorsque Patrice Talon accède à la présidence, il fait appel à ce profil atypique, repéré lors de rencontres organisées dans la diaspora béninoise. À seulement 39 ans, Wadagni devient ministre de l’Économie et des Finances. Une nomination saluée comme un signe de rupture : Talon choisit un technocrate de haut vol, sans carrière politique préalable, pour redresser des finances publiques en crise.
Dès son arrivée, Wadagni imprime sa marque : rigueur budgétaire, orthodoxie financière, réduction des gaspillages, digitalisation au pas de charge pour réduire la corruption. Ses méthodes, inspirées du secteur privé, surprennent une administration habituée à davantage de souplesse. Mais elles séduisent rapidement les bailleurs internationaux, qui voient en lui un interlocuteur fiable.
Romuald Wadagni est reconduit à son poste lors du second mandat de Patrice Talon en mai 2021, avec le rang de ministre d’État. En pratique, le ministre des Finances béninois devient l’un des hommes de confiance les plus proches du chef de l’État, souvent présenté comme “l’homme fort” du gouvernement. Début 2023, ses responsabilités sont encore étendues : le président Talon lui confie la supervision de la coopération internationale ainsi que des questions liées aux affaires de défense, notamment le financement de la sécurisation du nord du pays face aux menaces terroristes.
L’architecte de la crédibilité financière béninoise
En neuf ans, le ministre s’est imposé comme le maître d’œuvre des réformes économiques. Sous sa houlette, le Bénin est devenu le premier pays d’Afrique francophone classé parmi les champions mondiaux de la transparence budgétaire. Sur les marchés, Cotonou a multiplié les opérations inédites : une première émission obligataire internationale en 2018, puis, en janvier 2021, deux euro-obligations de 700 M€ (11 ans, 4,9 %) et 300 M€ (31 ans, 6,9 %), cette maturité record de 31 ans faisant entrer le pays dans un club très restreint. Quelques mois plus tard, Wadagni innove encore avec le premier Eurobond “ODD” d’Afrique, d’un montant de 500 M€, dédié à des projets sociaux et environnementaux. En 2025, le Bénin devient même le premier pays africain à lever plus d’un milliard de dollars sur les marchés internationaux.
Dans le même temps, la stratégie de restructuration de la dette a permis d’inverser sa composition : désormais évaluée à 51,5 % du PIB au premier semestre, elle est majoritairement constituée de dette extérieure à coûts réduits, face au marché intérieur, devenu plus onéreux, alors que les coûts de mobilisation se sont envolés ces dernières années. Selon Fitch Ratings (février 2025), le taux d’intérêt moyen de la dette publique béninoise est inférieur à 3,50 %, dont 98 % à taux fixe.
La croissance est restée aussi soutenue : +3,8 % en 2020, en pleine pandémie, puis +7,2 % en 2021, avant d’atteindre 6,4 % en 2023 et 7,5 % en 2024. Dans le même temps, les agences de notation ont, à chaque fois, relevé ou maintenu la note souveraine du Bénin, une performance rare en Afrique subsaharienne. Le pays est par ailleurs devenu le premier de l’UEMOA à ramener son déficit budgétaire sous la barre des 3 %, un an avant l’échéance fixée à 2025. De Washington à Bruxelles, Romuald Wadagni s’est ainsi forgé la réputation d’un “bon élève” de la discipline macroéconomique.
Une stature régionale
Au-delà du Bénin, Wadagni s’impose sur la scène régionale. De 2018 à 2020, il préside le Conseil des ministres de l’UEMOA et prend part aux discussions sur la réforme du franc CFA, allant jusqu’à parapher l’accord marquant une étape décisive dans le processus. Gouverneur du Bénin auprès du FMI et de la Banque mondiale, il s’est distingué par son plaidoyer en faveur de financements climatiques adaptés aux réalités africaines. À contre-courant de la majorité de ses homologues, il a refusé de soutenir l’idée d’une annulation pure et simple de la dette africaine pendant la pandémie de Covid-19, estimant que cela enverrait un mauvais signal aux marchés. Les faits lui donneront raison : plusieurs pays ayant obtenu des moratoires ou plaidé pour l’effacement ont ensuite subi des dégradations de leurs notes souveraines, quand le Bénin, lui, voyait sa signature renforcée.
Le pari de la continuité et les angles morts d’une candidature
En le choisissant pour lui succéder, Patrice Talon envoie un signal clair : la continuité économique prime. Et Wadagni incarnerait cette rigueur, cette stabilité et cette crédibilité, autant d’atouts pour maintenir la confiance des investisseurs et partenaires internationaux.
Reste que la “marque Wadagni” a ses fragilités. D’abord, la distance : le ministre d’État parle peu, cultive la sobriété médiatique et laisse rarement filtrer le “récit” derrière les tableaux Excel. Ensuite, l’épreuve du terrain : transformer l’expertise en adhésion populaire exigera un duo (voire un trio) politique capable d’embarquer les bases militantes, d’animer les meetings et de négocier les équilibres locaux. Enfin, l’héritage Talon : assumer la continuité, oui, mais avec quelle inflexion sociale ? Les classes moyennes basses et populaires attendent des réponses sur les prix, l’emploi, la protection sociale et la redistribution des fruits de la croissance.
En face, les Démocrates, principal parti d’opposition, devront désigner leur candidat dans les prochains, sous la bénédiction de l’ancien président Yayi Boni, dont la cote de popularité demeure élevée. Le parti entend capitaliser sur les chantiers laissés en friche par la gouvernance Talon – notamment sur les questions de démocratie et sociales.
Fiacre E. Kakpo/Ecofin