Il affirme, depuis 3 années maintenant, qu’il n’est pas irremplaçable et qu’à la fin de son second mandat, qui s’achève dans quelques jours, il quittera le pouvoir. Elu pour la première fois en 2011 après trois tentatives sans succès, Mahamadou Issoufou va abandonner ce fauteuil qu’il a tant poursuivi. Celui qui a présidé aux destinées du Niger pendant les 10 dernières années, arrive à l’heure du bilan, non sans livrer une dernière bataille : faire élire son successeur désigné, Mohamed Bazoum.
« Ma décision de respecter la constitution et de ne pas me représenter est irrévocable ». Ce sont par ces mots que Mahamadou Issoufou a clos le débat sur un éventuel retournement de veste. Le président nigérien avait annoncé depuis plusieurs mois qu’il ne comptait pas se présenter à sa propre succession, conformément aux lois de son pays.
Malgré tout, les élections du 27 décembre prochain ne seront pas sans enjeu pour le chef d’Etat sortant qui a désigné son successeur. « Mon parti [le PNDS-Tarayya, NDLR] a des valeurs, et Mohamed Bazoum porte ces valeurs ». Zaki, le lion de Dan Dadji comme le surnomment ses partisans devra encore donner de la voix pendant les meetings de ce dauphin, à qui il confie la responsabilité de poursuivre le travail effectué ces 10 dernières années.
Le lion de Dan Dadji
A Dan Dadji, dans la région nigérienne de Tahoua où nait Mahamadou Issoufou en 1952, peu de gens lui auraient prédit un avenir aussi brillant. Pourtant, le jeune haoussa ne tarde pas à montrer qu’il est spécial. Après d’excellents résultats scolaires couronnés par un baccalauréat scientifique, il étudie d’abord les mathématiques à l’université de Niamey.
Pourtant, le jeune haoussa ne tarde pas à montrer qu’il est spécial. Après d’excellents résultats scolaires couronnés par un baccalauréat scientifique, il étudie d’abord les mathématiques à l’université de Niamey.
Après avoir décroché une licence dans ce domaine, il décide de rallier la France pour parfaire sa formation. A l’Université des Sciences et Techniques du Languedoc de Montpellier, il obtient une maîtrise en mathématiques et applications fondamentales en 1976. L’année suivante, il rejoint l’université Paris VI et décroche un diplôme d’études approfondies en probabilités et statistiques. Mahamadou Issoufou entre ensuite à l’Ecole nationale supérieure des mines de Saint-Étienne et y obtient en 2 ans son diplôme d’ingénieur civil des Mines. Pendant ses études, il se signale par son militantisme.
De retour à Niamey, il devient, en 1980, directeur national des Mines au département ministériel chargé de ce secteur. Il rejoint ensuite la Société des mines de l’Aïr (SOMAIR), filiale du français AREVA, qui est en fait une coentreprise avec l’Etat nigérien. Mahamadou Issoufou gravit rapidement les échelons de l’entreprise. Il est d’abord secrétaire général, puis directeur des exploitations, avant d’être nommé directeur technique. Pourtant, il décide soudainement de démissionner pour se lancer en politique. Profitant de la montée de la démocratie sur le continent, il décide de créer une formation politique. Le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya) voit le jour au début des années 1990. Du 29 juillet au 3 novembre 1991, Mahamadou Issoufou participe, avec d’autres leaders politiques, aux travaux de la conférence nationale conduisant à l’avènement du multipartisme au Niger.
Du 29 juillet au 3 novembre 1991, Mahamadou Issoufou participe, avec d’autres leaders politiques, aux travaux de la conférence nationale conduisant à l’avènement du multipartisme au Niger.
Finalement, les qualités de militant brièvement apparues lors de sa période universitaire refont surface chez Mahamadou Issoufou. Sa verve lui vaut le surnom de Zaki, le lion en haoussa. Son engagement pour sa région natale transformera ce surnom. Mahamadou Issoufou devient le lion de Dan Dadji.
Une longue marche vers le palais présidentiel
Devenu célèbre pour ses prises de parole, le lion de Dan Dadji commence à gagner en popularité. Il décide alors de participer à l’élection présidentielle de 1993. Il échoue au pied du podium. 3e au premier tour, il doit jouer les arbitres entre Mamadou Tandja et Mahamane Ousmane. Il choisit le second. Mahamane Ousmane, une fois élu, nomme son allié Premier ministre. Seulement, le temps passé par Mahamadou Issoufou à la primature est court. Son alliance avec le président ne dure pas et il démissionne en septembre 1994. L’année suivante, il est élu président de l’Assemblée nationale et occupe cette fonction jusqu’au coup d’Etat mené par Ibrahim Baré Maïnassara en 1996. Trois ans plus tard, ce dernier est tué dans un autre putsch organisé par des éléments de sa garde personnelle. Mamadou Tandja bat ensuite Mahamadou Issoufou à l’élection organisée dans la foulée.
L’année suivante, il est élu président de l’Assemblée nationale et occupe cette fonction jusqu’au coup d’Etat mené par Ibrahim Baré Maïnassara en 1996. Trois ans plus tard, ce dernier est tué dans un autre putsch organisé par des éléments de sa garde personnelle.
Devenu député, quelques mois plus tard, le natif de Dan Dadji prend la tête de l’opposition contre Mamadou Tandja. En 2009, le président annonce son intention de modifier la constitution pour rester au pouvoir, au-delà de ses deux mandats. L’opposition se braque et boycotte le référendum organisé par le gouvernement. Après la modification de la constitution, Mamadou Tandja est renversé le 18 février 2010 par l’armée qui rend le pouvoir aux civils en 2011.
C’est enfin le moment pour Mahamadou Issoufou qui peut enfin s’asseoir dans le fauteuil présidentiel. Il souhaite instaurer une bonne gouvernance, construire un Etat de droit et lutter contre la corruption. Il promet également de combattre la faim et d’assurer la sécurité de tous les Nigériens. Ces promesses, il les renouvelle en 2016, lorsqu’il est réélu. Effectivement, les deux mandats du président semblent parfois n’en être qu’un seul, avec un bilan presque similaire et les mêmes reproches faits par l’opposition.
Une décennie de progrès, mais aussi de problèmes récurrents
Lors des 5 premières années de Mahamadou Issoufou à la tête du Niger, le pays passe de la 134e place du classement de Transparency International, selon l’indice de perception de la corruption, à la 103e place. Les efforts faits en matière de lutte contre la prévarication semblent notables, mais l’opposition nie ces changements et dénonce une gestion sectaire du pays. En tout, les 9 années du natif de Dan Dadji à la tête du pays ont entrainé d’importantes évolutions, notamment sur le plan économique. Malgré la baisse des cours de matières premières telles que le pétrole et l’uranium, le PIB passe de 7,79 milliards de dollars en 2010, à 12,92 milliards de dollars en 2019 (Banque Mondiale). Ces avancées sont entre autres dues aux nombreuses infrastructures construites par le régime en place. De 3952 km de routes bitumées en 2010, le Niger en est à 5066 km en 2019.
Ces avancées sont entre autres dues aux nombreuses infrastructures construites par le régime en place. De 3952 km de routes bitumées en 2010, le Niger en est à 5066 km en 2019.
Néanmoins, certains des projets ont été jugés « inutiles » par l’opposition qui dénonce des dépenses inadéquates aux besoins du peuple. Pourtant on constate un réel progrès.
L’accès à l’eau s’est amélioré. Sur les 9 dernières années, plus de 117 219 branchements et 1 838 bornes de fontaines publiques ont permis de doubler le nombre de Nigériens ayant accès à l’eau potable en zone citadine.
Sur les 9 dernières années, plus de 117 219 branchements et 1 838 bornes de fontaines publiques ont permis de doubler le nombre de Nigériens ayant accès à l’eau potable en zone citadine.
Le taux de desserte en milieu urbain est passé de 73,75% en 2010 à 95,62% en 2019, soit un bond de 21,87 points de pourcentage. La décentralisation s’est également améliorée. 7 conseils régionaux et 255 conseils municipaux, dont 4 conseils de ville, ont été installés. Dans le même temps, le nombre de fonctionnaires du service public a augmenté. L’effectif des fonctionnaires est ainsi passé de 48 243, en 2010, à 77 856 en 2019.
Le point critique de ces deux mandats, selon plusieurs Nigériens, restera la Loi de finances de 2018. Le texte augmente le prix de nombreux produits de première nécessité et plafonne les salaires des fonctionnaires à 33,2 % du budget de l’Etat. C’en est trop pour les Nigériens qui descendent dans les rues. « Au Niger, nous avons une assiette fiscale de 16 %. En France, elle est de 44%. Cette Loi de finances est loin d’être antisociale. Nous voulons régler les problèmes des Nigériens, mais pour ça, il nous faut des ressources. Aussi, la part du budget nigérien financée par l’extérieur était trop élevée. A une époque, elle était de 60%. Nous voulons être indépendants et je pense que l’énorme majorité du peuple l’a compris. Maintenant, dans un pays, on ne peut pas avoir l’unanimité », essaie de rassurer Mahamadou Issoufou.
« Au Niger, nous avons une assiette fiscale de 16 %. En France, elle est de 44%. Cette Loi de finances est loin d’être antisociale. Nous voulons régler les problèmes des Nigériens, mais pour ça, il nous faut des ressources.»
En plus de cette crise, l’opposition reproche une « dérive autoritaire » au président en place. Il faut dire que ses relations avec les opposants sont tendues depuis que l’alliance ayant porté Mahamadou Issoufou au pouvoir a éclaté en 2013. Mis en cause dans une affaire de bébés volés, Hama Amadou, nouveau chef de l’opposition, accuse le président de l’empêcher de participer au jeu politique grâce à des pressions judiciaires. Mais les reproches du peuple nigérien sont plutôt complexes à saisir. Pour Sandrine Gaingne, journaliste et ancienne responsable du bureau de Niamey pour l’Agence Ecofin, « le président est critiqué, entre autres, parce qu’il entretient de bons rapports avec les Français. Les Nigériens reconnaissent que c’est un grand travailleur, un véritable bâtisseur, seulement, ils estiment que les ressources du pays sont bradées aux Français, notamment l’uranium ». Ce reproche, réminiscence d’une suspicion néo-colonialiste, a la vie dure.
Quoi qu’il en soit, Mahamadou Issoufou estime, à juste titre, avoir fait avancer son pays. Malgré une situation sécuritaire compliquée par la présence djihadiste au Sahel et les douloureux revers infligés aux Forces armées nigériennes (FAN).
En réalité, si le président nigérien doit avoir un regret, c’est de n’avoir pu faire davantage pour améliorer la situation sécuritaire de son pays qui requiert beaucoup plus de moyens qu’il n’en a à sa disposition. Il espère sincèrement plein succès à son dauphin pour régler ce problème. Parce qu’effectivement, comme il le répète inlassablement depuis plusieurs mois aux incrédules, MAHAMADOU ISSOUFOU NE PARTICIPERA PAS AU SCRUTIN DU 27 DECEMBRE PROCHAIN.
Servan Ahougnon